Autopsia

Je ne m'étais pas exprimé avec un support photographique depuis longtemps, mais pour ce travail, ce fut comme une évidence.

Visualiser et photographier mon corps à deux centimètres comme à la recherche du temps passé et en même temps explorer cette planète, pour découvrir des espaces inconnus ou oubliés. Je me laisse guider et entraîner par mon inconscient sur le fil du funambule à la recherche d'une étincelle de clairvoyance.
Moi comme matériau, photo comme temps et témoignage, archives photographiques entre décalage et dichotomie. Le corps, le souvenir, l'heure, les minutes puis les secondes. Une œuvre en cinq images, en cinq actes.
Deux noir et blanc floues pour la mémoire, deux noir et blanc pour le constat et une rouge pour la souffrance : physique ou psychique, peu importe, mais le rouge est mis. Je découpe ma chair, je découpe ma mémoire, je découpe mon temps : je suis mon boucher.

Ange Manganelli 22.12.2006


Installation Saint-Honorat des Alyscamps

Du sel, des stèles, du soufre et un trait bleu : ce sont les quatre éléments qu'utilise Ange Manganelli. Le sel et le soufre, qui sont aussi la matérialisation du blanc et du jaune, ont une haute teneur symbolique.
Le sel conserve et brûle. Il est le " feu délivré des eaux" et, par là, signifie la quintessence des choses. Il donne le goût aux aliments tout en étant associé à la terre aride. Mais c'est son incorruptibilité qui retient surtout Ange Manganelli "Le sel est un symbole d'éternité, affirme t-il, c'est ce qui reste d'un corps. Il est soluble mais indestructible". Ie soufre est le principe actif de l'alchimie. Lui aussi correspond au feu. Les Alyscamps sentent-ils le soufre? "Le gouffre est le symbole de l'esprit". îl s'agit ici de l'esprit du lieu.

Les stèles sont la part plus personnelle d'Ange Manganelli. Depuis plusieurs années il réalise des stèles noires qu'il recouvre d'une écriture blanche. L'intimité de récriture rejoint l'éternité de la stèle, effaçant l'anecdotique pour ne retenir que le mouvement. Manganelli se sert du bleu dans ses installations, généralement pour matérialiser la lumière que dessine une fenêtre. Le bleu forme le contour de la lumière et marque son déplacement : "présent, passé, futur": Les traits bleus constituent une "bande temps".

Avec ces quatre éléments Ange Manganelli vient habiter un lieu. Il s'y loge. Il dispose une ponctuation qui interroge le lieu, en fait retentir des échos. Dans une crypte de Saint-Honorat des Alyscamps, il a déposé une tonne et demie de sel, comme un résidu de vie dans un site funéraire. Ce sel répandu uniformément forme un champ qui isole, mais aussi un interface entre le lieu et l'artiste.

Dans ce désert blanc, sur la ligne médiane, Ange Manganelli a disposé des morceaux de stèle assemblés en tas comme des monts-joie. Celles-ci bornent le tracé du temps, tout en figurant une élévation vers la flaque jaune de soufre au creux de l'autel, puis vers un trait bleu vertical, qui ne pouvait immanquablement être que là, là où certainement était la croix, ombre de la lumière. Le volume du sel est escamoté.

L'installation d'Ange Manganelli semble se réduire à des touches légères, mais elles activent les points sensibles du lieu. Dans cette mise en résonance, une architecture cachée, suspendue dans une intemporalité, est esquissée. Sa projection trouvera une suite immédiate dans un travail graphique à partir de photographies du lieu, ce qui n'est pas sans rappeler le travail qu'Ange Manganelli avait exposé aux Rencontres photo il y a une vingtaine d'années, où le dessin venait prolonger la photo.

Gérard Bodinier - LA PROVENCE


Mémorus

Ange Manganelli est l’auteur de plusieurs séries sur le paysage, sur les jambes des gens, sur les Halles de Paris entre leur désaffection et leur destruction. Avec ses photos bleues, exploration d’un monde intérieur et poétique, il utilisait la photo comme un matériau. Dans son exposition sur New York, la photographie mélangeait dessin et photographie. Puis il y eut de plus en plus de dessin et de moins en moins de photographie jusqu‚à ce que celle-ci disparaisse.

Ange Manganelli décide un break de 5 ans que la maladie prolongera de trois années supplémentaires. Il commence alors une série de tableaux. Réflexe de photographe, il part du réel, se sert de points d'appui architecturaux, et conserve un format photographique (2x3). Il écrit : long fil de l’écriture qu’il dévide sans fin. Par paquets géométriques diversement orientés, sans plan préétabli, il noircit les toiles. Le texte est illisible, le sens erratique. Le texte existe en tant que matière minérale où le sens frémit comme le chatoiement d’une lumière. Il abandonne assez vite la couleur sauf le bleu qui est la vie, le format rectangulaire pour le carré. L’écriture habite différemment la surface : lacune, rétraction, introduction d’un rythme courbe... variation de structure.

Dans graver il y a l’Anglais grave (tombe), ce qui n’avait pas échappé à l’angliciste Mallarmé. Dernièrement Ange Manganelli est passé au volume : celui des stèles. L’écriture est lichen, mousse, ombre. Les mots s’effacent pour donner à lire un relief, une profondeur, une vibration, un rythme fascinant qui méduse. Les mots sont une grille magique. « Pourquoi ne pas développer l’illisibilité de l’écriture », se demandait Dotremont (Cobra), ajoutant : « j’ai développé l’illisibilité spontanée d’un texte qu’on crée et j’en ai fait une visibilité de dessin ».
Ange Manganelli nous rend perceptible le murmure d’une langue inconnue ou, plus exactement, ce balbutiement au-delà des langues et dont elles dérivent

Gérard Bodinier - La Provence


Phases

L'art polaroïd, option ouverte du photgraphisme
La découverte par certains professionnels et certains plasticiens de la technique du polaroïd a assuré ainsi , à la suite du mec'art et dans la ligne génératrice de son esprit, la relance du photographisme.
Ce nouvel aspect de la pratique picturale de la photographie est étroitement lié à un procédé et à un matériau. Il en reflète les ouvertures et les limites. Alors que les mec'artistes tributaires du cliché classique, s'en sont tenu aux manipulations photomécaniques de l'image, l'intervention des artistes du polaroïd a été d'emblée beaucoup plus radicale parce que la nouvelle substance photographique s'y prêtait : griffure, grattages, incisions au stylet, découpes, décollages, frottages du doigt, arrachages, etc...

Les limites que le polaroïd impose à ses plasticiens sont celles de la matière du format et du temps. Qualité de la substance photographique, passage du format classique (8.3 x 1.-0.8 ou 8.5 x 10.5) aux grands formats (50 x 60 cm, et bientôt plus ) vitesse accélérée du temps de fixation de l'émulsion.
Les modalités de l'intervetion des photograpistes, l'orientation de leur travail en dépend. Que se passera-t-il si à l'augmentation du format correspond un relatif apauvrissement des qualités plastiques de la gelée du filmpack, et une accélération du temps de développement de l'émulsion?

Si la durée et les possibilités de manipulation chimique sur l'image en cours de developpement sont réduites, il est probable que l'importance des interventions mécaniques en sera accrue d'autant: grattages, dessins, retouches, découpes, report et transfert surpapier et autres supports. Dans un secteur technologique aussi évolutif, on peut s'attendre à toutes les surprises .L'art polaroïd dont Andreas Mahl, Ange Manganelli, Odile Moulinas, Pedro Uhart se sont révélés être au cours de ces dernières années les protagonistes militants, demeure l'une des options les plus ouvertes du photographisme contemporain.

Pierre Restany octobre 1981


Vivre dans son temps, avec son Art, telle est certainement la formule qui convient le mieux, aujourd'hui, à la démarche artistique d'Ange Manganelli. Après s'être pris lui-même comme point de départ de son expression, utilisant la photographie, la " trafiquant " pour traduire ses préoccupations intérieures, ses fantasmes, ses émotions, il se tourne maintenant vers ce qui lui est extérieur, et à travers certains faits qui l'impressionnent, et qui se développent dans le monde, il affirme avec violence parfois, la part qu'il détient de cette conscience collective, dont il ne peut se dissocier. " L'esthétisme " ne doit être qu'un moyen, dit-il, un moyen destiné à véhiculer des constats : atteintes à la liberté individuelle, drames historiques, contemporains.

Regarder le monde perpétuellement mouvant, douloureux, brutal, incohérent, et témoigner, comme un " reporter ", de l'agression permanente subie par les individus, oubliés, ensevelis le plus souvent sous la botte du totalitarisme, telle est la préoccupation première d'Ange Manganelli ; il lui semble désormais difficile, en tant qu'artiste, d'envisager une forme d'expression détachée de la réalité quotidienne, de la confusion brutale au sein de laquelle chacun vit, avec ou sans conscience. Le thème principal qu'il développe comme un leitmotiv douloureux et lancinant se rattache à la liberté d'opinion. Bâillonnés, torturés, étranglés, des hommes vivent et meurent dans de nombreux pays du monde pour défendre leur droit à la différence.


Cet aspect de la souffrance humaine, mêlée à un pénible sentiment d'impuissance, occupe tout entier Ange Manganelli, qui la suggère sans cesse.
S'il utilise le polaroïd c'est , dit-il, parce que c'est une pâte très malléable qui permet par le jeu de manipulations rapides , d'apporter à la photo une ponctuation qui lui donne une dimension différente.
Ses images réalisées au polaroïd , ses dessins à partir " d'auto-photocopies ",d'enveloppes et d'empreintes témoignent , par leur contenu, des engagements des êtres et des conséquences engendrées par ces engagements. La présence sur la marie-louise de dessins, de traces, d'interventions graphiques traduisent la vie qui se développe à l'extérieur de l'image même. C'est le symbole du chaos qui entoure l'individu.

Images du dedans, de l'individualité insérée dans l'image du dehors, celle de la collectivité dans laquelle l'homme se trouve inévitablement confondue par acceptation ou par refus.
Un travail très particulier qui nous donne à lire et à sentir l'Autre dans son entité d'homme. Un regard bouleversé posé sur la vie par un artiste à l'écoute de la destruction, du cauchemar dans lequel se jettent les hommes fous de pouvoir, de puissance et de haine.
L'oppression artistique d'un homme du XXème siècle et qui témoigne de son époque.

Sophie Arouet


"Sans Titre"

Ce travail correspond à la période charnière entre l'înstant de quitter l'acte photographique et l'instant de l'entrée dans l'acte de la gestuelle.
C'est pourquoi il y a ce mélange de photographie et de dessin qui se voulait acte libératoire pour échapper au cadre normalisé et standardisé du support photographique: fuir le cadre et accéder aux espaces de liberté. Vivre dans la marge, voire en marge et spéculer sur les conditions de visibilité et d'écriture d'une œuvre photographiée.
Réécrire, réunifier et réaliser une composition complexe fragmentée et répétitive dans la démarche inverse d'un cliché unique, puiser dans mes photographies précédentes pour quitter le reflet des choses extérieures de la vie et pénétrer dans le reflet de l'intérieur de l'être.

Ange Manganelli.


New York le 7 décembre au matin

L'une des expositions les plus intéressantes, les plus originales, que l'on peut voir actuellement à Arles, est celle d'Ange Manganelli. salle Henri-Comte.
C'est l'une des rares expositions qui dérangent, qui provoquent une remise en question, que l'on aime ou pas. " New York, 7 décembre au matin " est une exposition en deux parties, l'une blanche et l'autre noire. On passe de l'une à l'autre avec l'impression de traverser la cloison (Ange Manganelli a publié justement un livre de photographies qui s'appelle "De l'autre côté...là-bas ! ". L'une montre en volume. dans l'espace. ce que l'autre présente de manière plane, Mais. dans les deux cas, on retrouve le même parti pris d'une construction quasi architecturale. Dans sa composition même. L'exposition figure NewYork et nous sommes invités à y circuler.

Pour Ange Manganelli. la photographie est un matériau qu'il utilise pour traduire ce qu'il ressent. Il ne s'interdit pas de lui adjoindre d'autres matériaux comme le dessin, c'est ce que l'on voit dans rentrée de l'expo. Les photographies sont disposées sur de grands panneaux comme sur un itinéraire dont une série de signes indique le sens. Mais la partie la plus troublante est la seconde. Les images flottent dans l'air comme les gratte-ciel sont apparus à Ange Manganelli le 7 décembre au matin.

Ce jour-là il faisait froid, les rues étaient quasiment désertes. L'homme paraissait d'autant plus minuscule au pied de ce que Céline appelait " une ville debout ". D'incroyables fumées étaient provoquées par le système de chauffage urbain, créant une impression infernale. Curieusement New York Mégapolis devenait labyrinthe de solitude, d'angoisse avec la mort au bout du chemin. Ange Manganelli a photographié la ville, son plan, son visage, son identité Ses images sont montées en séquences qui sont autant de nouvelles images. On retrouve la double vision du début on peut voir chaque image pour elle-même. tandis que les séquences sont une traduction plus graphique. plus abstraite.

Avec cette exposition, Ange Manganelli à trouvé son langage propre Auparavant, il avait liquidé ses influences (entre autres celles de Magritte) avec de belles images fantastiques qui étaient les stations d'un voyage à l'intérieur de soi.

Gérard Bodinier Le Provençal.


De l'autre coté la bas

Ange Manganelli est un " documentariste " d'une espèce peu commune. Il n'est pas de ceux qui photographient les paysans chinois, les ouvriers de Chicago, les Baoulés ou les Indiens d'Amazonie. Il réalise des " reportages " sur ses - nos phantasmes, angoisses, forces inconnues, mal explorées. Ange Manganelli parcourt des Harrars et des Sibéries intérieures, les jardins des délices et les jardins des supplices du dedans. Comme un Julien Gracq. un Michaux. Ses montages photographiques le rattachent plus ou moins au courant de la photographie fantastique. Il représenta la France, d'ailleurs, l'année dernière au Festival d'Arles, dans la vaste sélection d'images illustrant cette tendance de la création.

Corse né au Maroc, pays de soleil, Ange Manganelli n'a pas oublié la lumière, mais celle qu'il révèle a les beautés du diable. Bleutée, farouche, elle cerne des silhouettes accroupies, méditantes, des architectures sources d angoisse et d'inquiétude. Ces photos sont le résultat de montage de plusieurs manipulés à l'aide de caches ou par projection. L'image obtenue est soumise à des procédés de " virages ". Entre le réel objectif que Manganelli choisit de capturer dans la rue et l'image finale, il y a ce que le photographe nomme la force imaginative. Cette chasse à la sur-réalité est extrêmement bouleversante, certaines fois. Elle suggère des blessures, des fantômes affamés, des sortes d'occupants agressifs. On songe un peu à Magritte, au Chirico de la période métaphysique et à tous les " passeurs de miroirs ".

Comme chez Magritte les titres donnés aux images ont pour mission de brouiller la lecture, de la prolonger, de la multiplier. Ainsi, " plus loin plus tard ". Et les courts poèmes de Sophie Arouet éclairent cette " grande Garabagne " d'une autre lueur qui a le parfum de l'énigme.

André LAUDE Beaubourg Pont des Arts.